SOCIÉTÉ

« C’est beau à voir »

« Je me trouve bien chanceuse », assure Anne, presque 40 ans. Séparée du père de ses enfants à 32 ans, elle vit depuis trois ans avec Daniel, qui a une fille.

« Je suis une fille de famille, dit-elle. Ç’a été difficile pour moi de me séparer parce que je n’avais plus de famille, comme je l’avais voulu. » Avec Daniel, elle a le sentiment d’avoir « une deuxième chance ».

Cindy Butterfield trouve aussi beaucoup de points positifs à se construire une nouvelle famille avec Jérôme Nycz, le nouvel homme dans sa vie. « Je trouve que c’est un meilleur modèle de couple parce que je choisis d’être avec mon chum, dit-elle. C’est positif pour les enfants de voir qu’on est bien dans cette relation et ils en bénéficient. »

En comptant les enfants de l’un et de l’autre, Anne et Daniel en ont quatre – trois garçons et une fille. La vie fait parfois bien les choses : Anne a toujours voulu avoir une fille et c’est avec Daniel qu’une petite est entrée dans sa vie. Cindy et Jérôme, eux, ont trois enfants chacun, ce qui leur en fait six âgés de 7 à 17 ans lorsque tout le monde est au même endroit au même moment.

Après s’être séparée du père de ses enfants, Cindy a pris le temps de réfléchir à la suite des choses et s’est demandé si un homme sans enfants pourrait être un bon candidat pour elle… « Je me suis dit que quelqu’un sans enfants n’arriverait pas à vivre avec cette situation, raconte-t-elle. Le nombre d’enfants n’a jamais été un enjeu avec Jérôme. Et j’ai toujours voulu une grosse famille. »

L’INTÉGRATION, UN DÉFI

Vivre à deux n’est déjà pas toujours simple, alors imaginez le défi quand ce ne sont pas deux individus, mais quatre, six ou même huit personnes qui doivent apprendre à vivre ensemble. « Les deux parents ont des bagages différents et tous les enfants ne comprennent pas les choses de la même manière selon leur âge », explique Marie-Ève Brabant, psychologue, qui valorise le respect, la communication et… la patience.

Donner du temps au temps, c’est ce qu’ont spontanément fait Jérôme et Cindy. « On ne voulait brusquer personne », dit-elle. Une fois que Jérôme et elle ont été certains de vouloir s’engager, ils ont réuni les enfants de l’un et de l’autre lors d’activités agréables : ski, randonnée, crème glacée. Puis, l’été dernier, le nouveau clan s’est retrouvé dans un chalet pendant deux semaines. La manière douce semble avoir fonctionné.

« Les enfants se sont mis à apprécier le temps qu’ils passaient ensemble et à manifester le plaisir qu’ils avaient à avoir une maison plus pleine. » — Jérôme Nycz

La cohabitation est plus soutenue depuis l’automne, mais repose encore sur une saine distance : les deux familles sont voisines et ne vivent pas ensemble.

Les repas se font chez l’un ou l’autre, souvent en commun. « Tout le monde dort chacun chez soi, ça simplifie les matins », précise Cindy. Huit personnes, ça ferait une longue file à la salle de bains… « On ne veut pas vivre ensemble à tout prix », avance Cindy. Son plan idéal serait de partager un duplex avec Jérôme où les enfants pourraient circuler à leur guise.

S’ADAPTER

Puisqu’ils se sont fréquentés durant de longs mois avant d’emménager ensemble, Anne et Daniel pensent aussi avoir pris le temps nécessaire pour jeter les bases de leur archipel familial. « Ma fille est enfant unique chez sa mère et ici, elle se retrouve dans une fratrie. Il a fallu qu’elle trouve sa place là-dedans », précise néanmoins Daniel.

Les fils d’Anne ont aussi dû s’habituer à la petite, qui collait beaucoup leur mère à son arrivée. « Il a fallu que je la défusionne de moi, que je lui explique que je l’aime même si je lui donne des consignes, dit Anne. Comme je n’ai pas fait ça d’un coup sec, mes gars ont réagi. Pas face à elle, mais face à moi. Ils demandaient si je les aimais moins… »

Les adultes aussi doivent s’ajuster. Julie* n’avait pas d’enfants lorsqu’elle a rencontré son amoureux qui, lui, avait déjà un fils.

« Je n’ai jamais vécu le rejet, comme belle-mère, mais de l’ouverture. Ça m’a toujours émue de constater ça. » — Julie

Elle a cependant mis du temps à faire la paix avec la présence de l’ex de son compagnon aux frontières de son quotidien.

« Au début, j’avais le sentiment qu’elle avait une longueur d’avance sur moi parce qu’elle avait fondé une famille avec lui, et je ne savais pas si ça m’arriverait à moi aussi », raconte-t-elle. Elle a trouvé son bonheur en jouant auprès de son beau-fils, appelons-le Samuel, un rôle qui se situe quelque part entre « la grande sœur, la gardienne et la complice ». Et en ayant deux enfants avec son nouvel amoureux. « Samuel est un excellent grand frère », se réjouit-elle. L’écart d’âge – le garçon est adolescent et sa plus jeune demi-sœur n’a pas 1 an – ne pose pas problème.

CHACUN DANS SON ESPACE

Les dix années qui séparent la plus vieille et la plus jeune des filles de sa famille reconstituée, Jérôme les perçoit comme un avantage. « Pour des parents, c’est plus facile parce que les six enfants n’ont pas les mêmes besoins, expose-t-il. Les miens sont plus âgés et demandent moins de supervision pour les travaux scolaires. Entre eux, les enfants développent des relations différentes. C’est beau à voir. On n’a rien imposé, ils décident eux-mêmes d’interagir avec l’un ou l’autre. »

L’important, selon lui, est de mettre en place un environnement qui favorise la communication, en particulier avec les ados. « La confiance, ça se mérite », dit-il. Par ailleurs, il est capital, selon lui, d’avoir des lieux où tout le monde se rassemble… et d’autres où il est possible d’avoir son intimité.

« On essaie d’avoir du temps seul avec un enfant, ajoute-t-il. J’essaie de passer du temps seul avec ma fille, ou mes fils. Les 20 minutes que je prends pour aller reconduire l’une des filles de Cindy en auto, c’est aussi du temps important. Ça donne l’occasion de questionner les enfants, de voir s’ils sont à l’aise, s’ils ont des interrogations. »

Cindy voit bien du positif dans la famille en construction qu’elle a sous les yeux et à sa table. Les enfants de son nouveau conjoint lui ont même témoigné qu’ils appréciaient le bien-être qu’elle apporte à leur père. « Même si c’est une relation imposée aux enfants, dit-elle, je trouve intéressant de constater qu’on peut développer une relation d’affection et se soucier des autres. »

* Nom fictif.

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